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L’Originalité d’une Émission Télévisée et sa Protection par le Droit d’Auteur : Analyse Juridique et Enseignements (Octobre 2024)


Dans une affaire marquante jugée par la Cour d'appel de Bordeaux, un guide touristique a vu son travail créatif reconnu comme protégé par le droit d'auteur. Cette décision offre un éclairage précieux sur les critères d'originalité dans le secteur audiovisuel et les implications pour les parties prenantes. Ce dossier inclut les fondements juridiques applicables, notamment les articles du Code de la propriété intellectuelle (CPI) et les jurisprudences pertinentes.


1. Les faits et enjeux de l'affaire

1.1. Le litige

Le litige oppose un guide touristique à la chaîne de télévision locale TV7 concernant une émission intitulée "Suivez le guide". Engagé initialement comme animateur, le guide revendiquait la paternité de l'émission, qu’il considérait comme une œuvre originale.

Après la diffusion de l'émission sans qu'il perçoive de rémunération pour ses droits d'auteur, il a engagé une action en justice pour contrefaçon, demandant :

  • La reconnaissance de son statut d'auteur de l'émission.
  • Une indemnisation pour l'exploitation non autorisée de son œuvre.

1.2. Question juridique principale

Le tribunal devait répondre à la question suivante : l’émission télévisée remplit-elle les critères d’originalité nécessaires pour être qualifiée d’œuvre protégée par le droit d’auteur ?

 

2. Les fondements juridiques applicables

2.1. Le Code de la propriété intellectuelle (CPI)

Le droit d’auteur en France repose sur plusieurs dispositions du CPI, notamment :

  • Article L.111-1 CPI :

    "L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous." Cet article établit que toute œuvre originale est protégée par le droit d’auteur dès sa création.

  • Article L.112-2 CPI :
    Cet article énumère les œuvres susceptibles d’être protégées, incluant expressément les œuvres audiovisuelles.

  • Article L.113-1 CPI :

    "La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée." Cet article pose la présomption d'auteur, souvent contestée dans des projets collectifs.

  • Article L.113-7 CPI :
    Cet article précise que dans une œuvre audiovisuelle, la qualité d’auteur peut être partagée entre plusieurs contributeurs, sous réserve qu’ils aient apporté une contribution originale.

2.2. La notion d’originalité

La jurisprudence française définit l’originalité comme l'empreinte de la personnalité de l'auteur sur l'œuvre (Cass. Civ. 1ère, 12 mai 2004, n°02-10.380). L'œuvre doit traduire des choix libres, créatifs et personnels, distinguant l’apport de son auteur d’une simple exécution technique.


3. L’analyse de la Cour d’appel de Bordeaux

3.1. Contributions créatives reconnues

La Cour a jugé que le guide touristique avait apporté une contribution originale et significative à l’émission, notamment par :

  • Le synopsis : La structuration et la rédaction des contenus de chaque épisode.
  • Le travail scénaristique : La présentation narrative des monuments et des sites historiques.
  • Les choix esthétiques : Conception graphique d’incrustations, effets visuels (surlignages), et ton personnel dans la présentation.
  • Les partis pris de réalisation : Décisions éditoriales sur le rythme, le ton, et l’organisation de l’émission.

La Cour a estimé que ces éléments témoignaient de choix libres et créatifs, conférant à l’émission l’empreinte de la personnalité du guide.

3.2. Décision finale

La Cour a conclu que :

  1. L’émission "Suivez le guide" est une œuvre originale protégée par le droit d’auteur.
  2. Le guide touristique doit être reconnu comme l’auteur principal de l’œuvre.
  3. TV7 a commis une contrefaçon en exploitant l’émission sans l’accord de son auteur, et doit indemniser ce dernier pour l’exploitation non autorisée de l’œuvre.

4. Jurisprudences pertinentes

Plusieurs décisions judiciaires précédentes éclairent cette affaire :

4.1. Sur l’originalité

  • Cass. Civ. 1ère, 13 novembre 2008, n°07-15.408 :

    Le caractère original d'une œuvre repose sur des choix libres et créatifs, traduisant l’empreinte de la personnalité de l'auteur.
    Cette décision souligne l’importance de l’apport personnel dans les créations audiovisuelles.

  • CA Paris, 20 juin 2001, Affaire "Loft Story" :

    Les concepts d’émissions de téléréalité ne sont pas protégeables, mais l’originalité peut résider dans la mise en forme et les choix artistiques (montage, narration, scénarisation).

4.2. Sur la titularité des droits dans les œuvres collectives

  • Cass. Civ. 1ère, 24 février 2015, n°13-27.391 :

    Dans une œuvre audiovisuelle, la qualité d’auteur peut être reconnue à plusieurs contributeurs, dès lors qu’ils ont apporté un travail créatif déterminant.

4.3. Sur la contrefaçon

  • CA Paris, 22 avril 2016, n°15/05882 :

    L’exploitation d’une œuvre sans l’autorisation de l’auteur constitue une contrefaçon, même en l’absence de mauvaise foi du diffuseur.


5. Enjeux et enseignements pratiques pour les professionnels

5.1. Importance des contrats clairs

Cette affaire rappelle la nécessité de conclure des contrats précis pour éviter des litiges liés à la titularité des droits d’auteur. Un contrat doit spécifier :

  • Les rôles exacts des parties (créateur, réalisateur, diffuseur).
  • Les modalités de cession des droits d’exploitation.
  • Les rémunérations prévues pour chaque contribution.

5.2. Définir l’originalité dès la conception

Les producteurs et diffuseurs doivent s’assurer que leurs créations répondent aux critères d’originalité pour bénéficier d’une protection juridique. Cela implique une documentation rigoureuse des choix créatifs et des apports personnels des collaborateurs.

5.3. Prévenir les litiges

Pour éviter les accusations de contrefaçon, les chaînes doivent :

  • Obtenir l’accord explicite de tous les contributeurs sur l’exploitation de l’œuvre.
  • Déterminer en amont si une œuvre relève ou non du droit d’auteur, en fonction des critères d’originalité.

6. Conclusion : une jurisprudence clé pour le secteur audiovisuel

Cette décision de la Cour d’appel de Bordeaux est un jalon important pour la reconnaissance des droits des créateurs dans le secteur audiovisuel. Elle souligne que toute œuvre portant l’empreinte de la personnalité de son auteur, qu’il s’agisse d’un animateur ou d’un collaborateur technique, peut être protégée par le droit d’auteur.

Notre cabinet accompagne les professionnels de l’audiovisuel dans la rédaction de contrats et la sécurisation de leurs droits. Nous sommes à votre disposition pour toute question relative à vos œuvres ou projets.


Référence juridique :


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